Bon matin l'Amérique! suivi d'une réflexion critique
Philippe Geluck
Nick Ballon |
Nathalie entre dans la salle de repos du bureau et repère ses collègues au fond de la salle. Elle s’approche bruyamment du haut de ses deux pouces et demi de talons et s’inclut naturellement à la conversation.
Lyne – Vraiment, je sais pas quoi penser. Voyon, j’le pensais pas de même. Ça me trouble, sérieusement…
Carole – Osti de gars de marde! Osti de pénis sur deux pattes!
Nathalie – Vous parlez de Simon pis Annie? Je savais qu’y allait finir par tromper Maryse. J’y avais dit même!
Carole – Y’est où le cerveau? Dans la graine!
Lyne – Non, mais on connait pas sa version de l’histoire. Faudrait attendre de l’entendre avant de sauter aux conclusions. En tout cas, moi je pense.
Nathalie – Maryse a le sais-tu?
Carole – Non, c’est ça le pire, elle a se doute de rien, mais tout le monde le sait pis tout le monde en parle parce que Simon y’est bien trop fière de son coup. Hey une secrétaire ET une réceptionniste…
Lyne – Ouais tout le monde en parle! Vraiment, c’est dégeulasse.
Carole – Attends que Maryse a l’apprenne, ça va faire boum!
Nathalie (en chuchotant, suivit d’un rire aigue) – Boum…
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Lettre rédigée par Madame Jacinthe Dubé de Trois-Rivières.
Hier, j’ai appris aux nouvelles que mon voisin, et aussi professeur de ma fille lorsqu’elle était en sixième année, trompait sa femme depuis quelques semaines. Je l’ai appris aux nouvelles, parce que cet homme – que je ne nommerai pas, non par respect de l’anonymat, on en parle en page A3, mais pour la simple et bonne raison que l’articulation seule de ce prénom que j’ai répété si souvent précédé d’un « bonjour » amical par-dessus la haie de cèdre, me crée des haut-le-cœur particulièrement désagréables –, cet homme a trompé sa femme avec l’une de ses élèves. Rappelons que l’homme enseigne en sixième année. Cette information vous crée-t-elle un haut-le-cœur? Les parents ont eu la puce à l’oreille à cause de la fréquence inhabituelle à laquelle la fillette manquait l’autobus. En fait, ils se sont fâchés d’avoir à aller la chercher aussi souvent au service de garde et c’est une enfant en larmes qui a avoué la réelle situation : son professeur la gardait parfois après l’école pour lui donner des « leçons d’anatomie », mais c’était un secret. Après les nouvelles d’hier soir, j’ai téléphoné à ma fille. Elle m’a avoué qu’il y avait aussi dans sa classe de sixième année à l’époque une fille qu’elle ne connaissait pas très bien mais qui habitait sur notre rue qui ratait parfois l’autobus, mais pas elle. Après avoir raccroché, je n’ai pas dormi. Comment ai-je pu vivre tant d’années à côté d’un crotté, écœurant violeur d’enfants, sans me douter de rien? Aujourd’hui je console sa femme, convaincue que son avenir vient de s’écrouler devant elle. Et je crache à travers les barreaux d’un homme condamné à 5 ans de prison. Dans 5 ans, tout sera à recommencer.
Joost Van Den Vondel
J’ai fait quelque chose de terrible. J’ai triché à un examen. Et je me suis fait prendre. En soi, ce n’est pas si terrible, pas comme si j’étais la première à qui ça arrivait, mais c’est que je suis la bolée, celle que tout le monde vient voir pour de l’aide, même le beau Jean-Émile… Le professeur m’a pris à part après l’examen pour me dire qu’il m’avait vue remonter légèrement ma jupe pour regarder les notes qui étaient écrites sur mes cuisses. Je me suis mise à pleurer. Il fallait absolument que personne ne le sache, surtout pas Jean-Émile. J’avais passé la soirée d’hier soir à l’aider en français et j’avais complètement oublié que l’examen de mathématiques était aujourd’hui. Il ne fallait pas que ça se sache! Sinon, ma réputation serait complètement ruinée et plus personne n’allait me faire confiance. Je me suis mise à pleurer de plus belle. J’étais dans tous mes états et le professeur ne savait plus quoi faire. Il a finalement accepté de tenir ça mort. Je ne sais pas si c’est par pure compassion ou juste pour me faire taire qu’il a fait ça, mais au fond, ça m’importe peu. Je vais quand même avoir un zéro sur mon bulletin, mais ce n’est pas trop grave. J’aurai juste à ne pas le montrer aux autres élèves. En sortant de la classe j’ai vérifié dans le corridor pour voir si personne n’avait entendu. Vide. Je suis sauve.
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Un artiste à son gérant, se parlant à l’aide d’un téléphone au travers d’une vitre de plexiglas.
― J’me suis fait pogner. J’suis accusé de pédophilie…
― C’est pas vrai merde! On avait presque fini d’enregistrer ton disque! Le lancement était prévu pour le mois prochain!
― Je sais. Ma carrière est finie.
― Attends, dis pas ça trop vite. Si ça s’ébruite pas trop cette affaire-là, tout n’est pas perdu.
― Ben voyon! Tu penses-tu vraiment que les parents des petits garçons vont tenir ça mort! Le scandale est inévitable.
― L’argent souvent réussit à faire changer les décisions.
― J’suis pas sûr... J’ai fait une criss de niaiserie. L’argent peu pas réparer ça.
― Écoute. Tu te tiens tranquille, tu la prends mollo, un comportement exemplaire. Tu sors plus vite pour bonne conduite. Pendant ce temps-là, moi je reste vague sur les raisons de ton départ, je parle de famille, de voyages, de voyages pour aller voir de la famille, de problèmes de santé, peu importe. Tu sors, et on recommence! Si rien ne se sait, ta carrière reprend et tu vends en tabarnouche parce que le monde va s’être ennuyé de toi.
― Penses-tu vraiment que ça vaut tout le trouble?
― Peu importe ce que je pense, on n’a pas le choix. Toi parce que, si ça fait du bruit, ta carrière est finie, moi parce que une grosse partie de mon salaire dépend de toi.
― Alors selon toi, pour l’instant…
― … Tu es sauf.
Pierre Falardeau
RubberBall Productions |
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Pensez-y. Est-ce ça que nous voulons? Posons-nous vous réellement la question et répondons-y du plus profond de notre être. Est-ce bien ça que nous voulons? Nous voulons vraiment que notre pays devienne en deuxième États-Unis? Nous voulons dépenser des milliards en avions de guerre, alors que, rappelons-le, nous sommes censés être en mission de paix? Nous tenons tant que ça à être enviés par les pays supposément inférieurs au nôtre qu’il faut éclabousser et exploser en feux d’artifices partout où nous passons, sans nous soucier des richesses mal distribuées ou de l’environnement ravagé par nos beaux-paraîtres. Le pétrole c’est bon, c’est beau, c’est utile. Que des avantages. Investissons dans ce qui compte vraiment. Investissons dans l’armée! Quoi la dette? Quoi les citoyens? Quoi l’écologie? Quoi la mort?
L’artiste se rapproche de la caméra et appuie ses avant-bras sur ses cuisses, en position « confidence ».
C’est nous la prochaine génération, celle qui aura à subir toutes les conséquences des choix faits aujourd’hui. Réfléchissons à nos valeurs. Allons voter.
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Simone de Beauvoir
Ashley Jouhar |
Réflexion critique
Le fil conducteur de mon travail de création, ou plutôt son thème dominant, est le scandale. Mon volet analyse portait spécifiquement sur la relation intime entre sexualité et scandale, cependant, pour mon volet création, je ne me suis pas limité qu’à cet aspect, mais plutôt à l’idée du scandale en général. Mon principal objectif était justement de peindre un portrait de différentes formes de scandales qui habitent l’actualité et notre quotidien.
Ma création se compose de plusieurs courts textes distincts dont le « niveau d’importance » du scandale en question varie. Avec cette alternance entre « scandales véritables » et « scandales banals », je visais la mise en lumière de l’importance que nous accordons à certains sujets alors qu’il y en de bien pires qui restent dans l’ombre, ou du moins n’alimentent pas autant les conversations qu’ils le devraient. C’est une demande de baisser le ton, un « vous faites du bruit, ça m’énerve. Si vous ne vous intéressez pas à ces enjeux, c’est votre affaire, mais cessons la cacophonie à propos de sujets non significatifs. »
Je m’intéresse à ce phénomène de société particulier à la culture occidentale. C’est pourquoi le titre de ma création est « Bon matin l’Amérique ! » alors qu’il ne porte aucuns apparents avec le scandale en tant que tel. Il s’agit là encore d’une phrase lancée à la légère, du genre « Vous êtes réveillés, maintenant regardez-vous dans le miroir. » Cette décision de concentrer mes idées autour de la culture occidentale m’a permis de me servir de ce que j’avais pu apprendre ou déduire du scandale dans mes recherches précédentes. De plus, je reste à l’époque contemporaine, ce qui s’apparente encore à mon volet création puisque mes deux œuvres étudiées faisaient partie de la littérature actuelle. Ainsi, je demeurais en terrain familier.
Ma création est séparée en plusieurs parties plus courtes. Cette forme particulière de texte est typique de la littérature actuelle. J’ai choisi ce style parce que c’était le moyen le plus efficace de mettre en opposition les différents types de scandales. La forme fragmentée reproduit également assez efficacement la cacophonie que j’essaie de dépeindre, le phénomène « zapping » qui veut que dès qu’un sujet devient inintéressant on passe rapidement à un autre. Ce type d’écriture demeure cependant bien loin du style employé par Millet et Despentes dans La vie sexuelle de Catherine M. et Baise-moi. Ce n’était pas mon objectif que de calquer leur style. Ces œuvres ne traitent pas non plus du scandale en tant que tel, c’est la sexualité explicite qui y est dépeinte qui est la source du scandale.
Mon volet création ne s’apparente donc pas directement aux œuvres en elles-mêmes. Il s’apparente plutôt à l’effet que ces œuvres ont eu sur la population, à la réception critique qu’elles ont reçues. Cette idée me laissait donc une grande marge de manœuvre quant à l’aspect formel de mon texte. Il accordait une place à l’originalité que j’ai tenté d’exploiter. Les deux scandales causés par les œuvres à leur sortie se situeraient donc, pour moi, dans la catégorie des scandales qui font trop de bruit pour le mal réel qu’ils causent, alors qu’il existe de bien pires situations. C’est encore une fois cette inégalité que j’ai voulu mettre en relief à travers mon travail de création.